Depuis le temps que les hommes s'efforcent, et malheureusement réussissent à faire défiler le monde dans leurs appareils ; depuis le temps que l'humanité se renonce de jour en jour et se vide de ses vertus essentielles pour se perdre dans l'accumulation des techniques impersonnelles, cernant son vide grandissant d'un fracas de plus en plus assourdissant ; depuis que l'évidence, décidément, devient si peu récusable qu'il suffirait d'un seul instant de silence pour jeter bas, d'un coup, l'énorme bâtiment de cette mascarade qui requiert une complicité unanime, - comment voudrait-on espérer que l'homme, au-dedans de soi, un beau matin se réveillât, capable de se pencher sur son désert pour y cultiver amoureusement quelque graine perdue, veillant sur la pousse fragile au milieu des sables, avec la force tout soudain d'y entrevoir, par espérance forcenée et furie d'héroïsme, l'immensité des forêts d'autrefois ?
Armel Guerne, La poésie, cri d'une civilisation..., in Le Poids vivant de la parole